Tout peut changer, Naomi Klein
Un rapport de la Banque Mondiale, remis en 2012 par un aéropage d’experts et de chercheurs scientifiques, concluait qu’en acceptant un réchauffement climatique de 2°, comme nous l’avons consenti, nous risquions de déclencher à très court terme «des phénomènes non linéaires irréversibles». Il fut évidemment très vite enterré, nos dirigeants politiques ayant décidé qu’il y avait plus urgent : rembourser les dettes des banques occidentales… Sans avis sur la question plutôt que sceptique, peu motivée pour s’informer sur ce qu’elle ne pensait tout d’abord n’être qu’une querelle de savants, Naomi Klein a fini un jour par s’interroger : et si le grand danger, justement, était ce «devoir» d’ignorance que nos dirigeants attendaient de nous ? Alors elle s’est emparée de la question. Tous les débats, toutes les publications. Après tout, il en allait de notre avenir et de celui de nos enfants. Pour nous livrer aujourd’hui ce formidable plaidoyer, argumenté, infiniment citoyen, infiniment intelligent.
Nous vivons dans le déni. Continuellement. Sous l’empire d’une conspiration politicienne qui jour après jour veille à ce que l’ignorance l’emporte. Instruire le citoyen ? Jamais et cela, tout autant dans l’horizon de l’éducation que dans son sens juridique. Qui aurait la force, dans ces conditions, de vouloir changer quoi que ce soit au monde ? De prises de conscience larvées en amnésies chroniques, la seule chose que nous ayons apprise, c’est que le quotidien, qui nous submerge, doit l’emporter sur toute autre considération. Bien qu’il soit très probable que nous courions à notre perte. Naomi Klein a refusé qu’au nom de ce quotidien égoïste, l’ignorance citoyenne laisse une poignée de politiciens malhonnêtes nous conduire droit dans le mur. Elle n’a donc cessé d’interroger ces fameux experts, pour découvrir que non seulement des solutions étaient possibles, mais qu’elles existaient déjà ! Mais alors, pourquoi ne pas les mettre en branle ? C’est là toute la question, qui ressortit à celle du fumeux débat sur l’austérité : parce que ces solutions exigent de tout changer. A commencer par le modèle économique néolibéral qui est le nôtre, jusqu’au modèle politique prétendument démocratique qui l’encadre. Parce que ces solutions condamneraient les 1% qui nous dirigent à rendre des comptes. Parce que ces solutions nous laisseraient entrevoir que nos dirigeants politiques ne s’occupent pas de nous mais uniquement des privilèges de ces 1%.
Naomi Klein en prit conscience en 2009 précisément, presque au moment où les dirigeants des pays occidentaux sortaient de leur chapeau leur fameuse crise des dettes souveraines. Quand elle découvrit que les banques avaient déjà mis sur pied leur plan de bataille en inventant des produits dérivés spéculant sur les catastrophes écologiques ! Quand Naomi Klein découvrit que partout dans le monde ces mêmes banques s’étaient lancées dans le rachat de l’eau, des forêts, des terres cultivables qu’elles privatisaient à tour de bras. Quand elle découvrit que depuis plus de trente ans les politiciens n’avaient cessé de brader la sphère publique pour nous dépouiller de ce fameux Bien commun constitutif pourtant du sens de leur mission. Un travail de sape au nom de l’austérité, qui a conduit tout droit à la fantastique gabegie des ressources naturelles de la terre. Quand elle a compris qu’une course contre la montre était engagée par ces mêmes dirigeants pour imposer de nouveaux traités mondiaux organisant notre défaite pour la transformer en nouvel esclavagisme. Quand elle a compris que seul un sursaut citoyen pouvait nous arracher aux dangers qui nous menacent. A ses yeux même, le dérèglement climatique constitue l’occasion historique de changer de monde, à nous qui nous sommes trop habitués à la médiocrité de nos politiciens. «Oui, nous sommes livrés à nous-mêmes», avoue-t-elle, mais l’espoir ne pourra venir que d’en bas. Des dizaines de millions d’hommes vont mourir faute de décision politique, affirmait le rapport remis à la Banque mondiale en 2012. Nos dirigeants le savent. Mais ils ne feront rien. C’est dans cette solitude qu’il nous faut agir. Contre eux.
Tout peut changer, Naomi Klein, ACTES SUD, 19 mars 2015, Collection : Questions de société, 540 pages, 24,80 euros, ISBN-13: 978-2330047849